mercredi 26 septembre 2007

Interview, partie 4 : Deux rencontres essentielles : Jean Malrieu, Bernard Noël

Qu’est-ce qui vous a attiré dans la personnalité et l’œuvre des poètes Jean Malrieu et Bernard Noël ?

La fréquentation de Malrieu a été constante alors que celle de Bernard Noël n’a été qu’épisodique. J’ai découvert Malrieu à la fin des années 50. Il figurait dans les anthologies surréalistes, il fréquentait Breton. Je lui ai écrit comme à un autre surréaliste, pour la première fois à la fin de l’année 62, pour lui dire que ses poèmes m’aidaient à vivre. Il m’a répondu qu’il avait lu mes poèmes et qu’il souhaitait en lire d’autres. Je lui ai donc envoyé quelques textes. Il ne les aimait pas, il trouvait que je manquais de souffle, que je me servais trop d’une certaine imagerie surréaliste, ce qui était vrai. Il pouvait se montrer parfois disons dogmatique mais il était si authentique que je ne lui en ai pas voulu. Un rapport confiant s’est très vite établi. Nous n’avons plus cessé de nous écrire jusqu’à sa mort. J’ai reçu de lui près de 200 lettres. Certaines pouvaient avoir cent pages, sur de grands cahiers à spirales. Il y racontait sa vie, il me décrivait la genèse de ses poèmes. Je les ai toutes confiées à la bibliothèque de Lille.


Malrieu nous invita à passer les vacances auprès de lui. Deux étés de suite, nous l’avons vu tous les jours pendant plusieurs semaines. Ce fut une grande rencontre. Jean était infiniment naturel, il ne posait pas. Alors qu’en Breton il est évident que j’avais cherché un second père (je l’avais rencontré quelques jours avant la mort de mon propre père), avec Malrieu, rien de tel ne s’est produit, malgré nos vingt années de différence. L’homme lui-même m’attirait. Tout le monde n’a pas eu la chance de l’entendre, avec son accent si particulier du Tarn-et-Garonne mêlé à celui de Provence. Il ne cessait de parler. Mais notre amitié est aussi liée aux promenades autour de Penne-de-Tarn. C’était plus enrichissant que de rester à la table d’un café surréaliste ! Grâce à lui, j’ai découvert la civilisation des pierres, de l’air, de la lumière, qui vont ensemble… Au début des années soixante, Malrieu commençait à changer d’orientation poétique, il écrivait La Vallée des Rois. Il était traversé par les interrogations que posent les lieux. C’est alors que j’ai eu la révélation d’un être qui habitait poétiquement, dans ses poèmes comme dans l’évidence quotidienne. Je n’ai pas saisi tout de suite l’importance de cette nouvelle orientation, j’en étais resté aux poèmes d’amour liés à Robert Desnos. Les grandes questions de Malrieu sur le monde et sur Dieu, je ne les ai vraiment comprises qu’après sa mort. Je n’ai pas cessé de vivre en sa compagnie depuis un demi-siècle. J’ai rassemblé ses œuvres, je les ai préfacées.



Quant à Bernard Noël, c’était l’antithèse de Malrieu, qu’il a sans doute peu lu. Je l’ai rencontré en 1971. Il m’a obligé à clarifier tout ce qui avait fini par me mettre mal à l’aise dans le surréalisme et dont je ne prenais pas vraiment conscience. Sa lecture a été pour moi très décapante. A titre d’exemple, j’ai décidé de lui envoyer le questionnaire d’une enquête que j’avais rédigée pour une revue à propos de l’amour, au sens où l’entendait Breton - l’« amour fou ». Noël a répondu pour dire que les conceptions surréalistes de l’amour, de la femme-enfant, étaient des niaiseries. Il a réédité sa réponse par la suite, sous la forme d’une « réplique à Pierre Dhainaut », dans Treize cases du je.

Pouvez-vous évoquer les circonstances et la fin de la crise existentielle et poétique que vous avez connue à l’époque d’Efface éveille et d’Au plus bas mot ?

C’était précisément à l’époque de ma rencontre avec Bernard Noël. Efface, éveille a été très inspiré par lui. Cette période correspond à un douloureux passage de dissociation.


Cette crise s’est dénouée lorsque j’ai découvert le monde du dehors. Le dehors avait déjà existé pour moi : la guerre, puis le service militaire, durant la guerre d’Algérie, je dois le rappeler. Vous n’avez pas idée de ce que peut être la vie de caserne, l’agressivité constante, le langage réduit aux ordres et aux insultes. J’en suis revenu déprimé. Le dehors, c’est avant tout autrui. Mes véritables pas vers le dehors, les poèmes que j’ai repris dans Terre des voix en témoignent. Le Retour et le chant a été également un moment important. Et puis, la mort de Malrieu a été traumatisante. Tout cela bouleverse et transforme en secret, avec le temps. J’avais assisté à l’agonie de mon père, le choc avait été violent sur le coup mais je n’ai vraiment interrogé cette mort que dans les années 80. D’autres morts m’ont marqué, celle d’un chat notamment, comme pour Malrieu. Il a fallu que j’écrive à mon tour un poème sur la mort d’un chat qui nous a vraiment beaucoup émus (« A la mort de M. »), que je l’écrive d’un seul jet en revenant du jardin où nous l’avions enterré. Je savais qu’en faisant cela j’étais avec Jean, j’accomplissais les gestes qui avaient été les siens. C’est grâce à la mort que je suis entré dans le grand dehors.

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