mercredi 26 septembre 2007

Interview, partie 2 : Deux passions de jeunesse : Victor Hugo et le surréalisme


A quelle époque et dans quelles circonstances s’est formé et affermi votre goût pour la poésie en général, puis pour le surréalisme ?

C’est Victor Hugo qui m’a permis de deviner les pouvoirs infinis de la littérature, de la poésie. Jusqu’alors, je n’avais pas grand goût pour la lecture. Je préférais jouer, tout simplement. La révélation s’est produite alors que j’étais en classe de cinquième : un professeur a eu l’idée de nous lire des textes de Hugo sans nous poser de questions, sans multiplier les commentaires. Par la suite, j’ai pu trouver les livres dont ces textes étaient extraits – Notre-Dame de Paris, en particulier. J’ai commencé à lire par moi-même et depuis je n’ai pas cessé. Un lien étrange s’est formé à l’époque entre la mort de ma grand-mère paternelle et la lecture des livres de Hugo. Pendant que ma grand-mère agonisait, on m’avait relégué dans une pièce sombre qui contenait une sorte de bibliothèque. J’ai essayé d’expliciter ce lien dans un texte intitulé « L’enfance des mots » qui en grande partie répond à vos questions, mais je sais que je devrais l’approfondir.

Deux autres livres ont également compté, des anthologies de la poésie des XVIe et XIXe siècles. On nous les avait fait acheter pour la classe mais ils n’ont jamais servi. Ils sont devenus mes livres de chevet. A partir de là, mes lectures ont rayonné. Après Hugo, j’ai découvert Baudelaire, Rimbaud…

Ce que j’aimais dans Les Odes et ballades et La Légende des siècles, c’était l’aspect fantastique et la virtuosité verbale. C’est aussi grâce à la lecture de l’œuvre de Hugo que m’est venue l’envie d’écrire. A l’époque, bien sûr, je ne pouvais concevoir de le faire que comme lui, en mètres, en vers réguliers. D’année en année, j’ai progressé. En classe de troisième, j’en étais venu aux Contemplations. Je n’ai pas reçu d’éducation religieuse à proprement parler et le catéchisme me paraissait très rigide : si la question religieuse m’intéresse, pour ne pas dire me passionne, c’est à cause des Contemplations, « Ce que dit la bouche d’ombre ».


J’ai découvert le surréalisme plus tard. Les nouveautés circulaient difficilement dans les provinces, vers 1950. Mais tout arrive ! A la devanture d’une librairie où étaient exposées des Que sais-je ?, je suis tombé sur le titre : Le Surréalisme. Ce nom m’a paru très étrange. J’ai acheté ce Que sais-je ?. Je devais être en classe de seconde. Ce livre était écrit dans un langage critique que je ne comprenais pas mais il contenait des citations de Breton, des cadavres exquis… J’ai été éberlué. Puis, il y eut la lecture du Paysan de Paris d’Aragon, à la bibliothèque municipale d’Armentières où, par chance, les employés me laissaient complètement libre. M’ont marqué à jamais les descriptions de certains lieux magiques, le Passage de l’Opéra, le jardin des Buttes-Chaumont. Ce qui m’importait, c’est que la dimension quotidienne était complètement élargie. Cela vous change un regard, une vie.
Par la suite, j’ai lu quelques poèmes d’Eluard, l’année de sa mort, en 1952, ses poèmes politiques, puis ses grands poèmes d’avant la guerre, Capitale de la douleur… Entre ma dix-huitième et ma vingtième année, j’ai découvert une autre manière d’écrire et de vivre. Le surréalisme a été ma véritable université. Que d’auteurs m’a-t-il permis de découvrir ! Apollinaire, Lautréamont, toute une bibliothèque réinventée… Des peintres, aussi, sous la forme de quelques reproductions. Deux d’entre eux m’ont frappé tout de suite : Tanguy et Miro. Je suis toujours fasciné par les tableaux d’Yves Tanguy. Miro est un créateur bien plus vaste, j’aimais en lui l’usage fabuleux et libre des lignes et des couleurs. Comment pouvait-on créer tant d’éclat, de joie, même ?

J’ai donc eu d’abord du surréalisme une connaissance livresque. En 1959, j’ai cru indispensable d’écrire à André Breton pour lui dire en quoi le surréalisme avait changé ma vie. Il m’a répondu très vite et m’a invité à le voir. Sa lettre commençait par un jeu de mots : « Cher Pierre Dhainaut, vous êtes des nôtres. » Il m’a reçu chez lui, à Paris. J’ai ainsi eu un contact direct, non seulement avec sa personne, mais avec la magie quotidienne dont il s’était entouré : ses objets, ses tableaux, ses livres… J’étais déjà passionné par l’art primitif. Depuis longtemps j’ai sur mon bureau un petit masque dan que je regarde tous les jours, attiré par sa grande intensité, par sa pureté. Dans ma volonté – beaucoup plus tard - de m’opposer à Breton, j’ai choisi une sculpture d’Afrique noire, alors que lui, préférait l’Amérique du Nord et l’Océanie où la magie l’emporte, le principe d’analogie. J’ai rencontré de nouveau Breton plus tard, à Saint-Cirq La Popie, il était attentif à ce que l’on lui disait et très cérémonieux, intimidant.

Il m’avait dit qu’il fallait que j’assiste aux réunions de son groupe. Cela s’est moins bien passé. Un groupe a toujours ses règles, ses étiquettes, ses querelles, un climat de surenchère y règne dans tous les domaines. Je ne me sentais pas heureux dans ce groupe que j’ai fréquenté de 1959 à 1963, années dont il faut retirer dix-huit mois de service militaire.

Mes premières publications ont été exclusivement liées au surréalisme. Breton a eu la gentillesse de me publier dans sa revue, La Brèche.

Aucun commentaire: